1. Période romaine et tardoantique
À la fin de l’époque romaine la population de la région se divise en deux groupes : iranophone, parfois identifié comme Alains, qui a laissé les nécropoles du type Inkerman, et germanophone, minoritaire, ce dernier est représenté sur la côte sud de la péninsule par les nécropoles du type Aj-Todor. Une fusion de ces deux groupes se produit probablement au cours du Ve-première moitié du VIe s., de la sorte que vers le VIe s. la région des montagnes du Sud-Ouest de Crimée est occupée par une population homogène du point de vue culturel, considérée comme les Goths. C’est le pays de Dori, décrit par Procope de Césarée (Procope, De aed. III 7.13). Selon lui, les Goths de Dori représentent un peuple chrétien, socialement peu stratifié, vivant de l’agriculture. Leur armée représente 3000 combattants, ce qui suppose une population considérable, au-delà de 15000 personnes (si l’on compte la famille biologique de 5 personnes). Archéologiquement cette population est connue essentiellement à partir des nécropoles comme Suuk-Su ou Lučistoe. La civilisation matérielle montre une germanisation du costume, ainsi qu’une forte influence de la civilisation romaine tardive/protobyzantine.
2. Période byzantine: histoire
L’emprise byzantine sur les montagnes de Crimée se renforce sous Justinien, qui, selon Procope, a entouré le pays de Dori par les remparts. Il s’agit sûrement des fortifications des passages, menant de la steppe de Crimée vers l’intérieur de la région montagneuse. Les restes de telles fortifications on été découvertes près de Mangup, dans le lieu-dit Karalez. C’est un secteur des remparts, de longueur de 150 m, construit en blocs de calcaire. D’autre part Justinien a construit sur la côte deux forteresses, Alouston (Alušta actuelle) et Gorzoubites (la ville de Gurzuf d’aujourd’hui) (Procope, De aed. III 7.11). À Alouston les fouilles archéologiques ont mis au jour une forteresse avec des casernes et le mobilier du VIe-VIIe s., notamment les amphores et la céramique sigillée. A Gorzoubites, sur le rocher de Dženevez-Kaja, les restes des casernes byzantines des VIe-VIIe s. ont été également étudiées. Durant la deuxième moitié du VIe s. la menace steppique se concrétise dans la péninsule et autour de 580 les Turcs appariassent devant les murs de Cherson, la base byzantine principale au Nord de la mer Noire. Ainsi, les fortifications, construites sans aucun doute avec la participation des architectes byzantins sont érigées durant la deuxième moitié du VIe s. à Mangup, Eski-Kermen, Bakla, Čufut-Kale, Tepe-Kermen. La construction des églises dans les sites rupestres témoigne de la christianisation du pays de Dori.
Au VIIIe s. Byzance perd le contrôle sur la région, qui à présent fait partie du royaume des Khazars, même si les archontes indigènes gardent leur pouvoir sur place. En même temps Byzance essaie garder son influence, notamment par biais de l’église chrétienne. Ainsi l’évêché de Gothie fait son apparition. L’évêque gothique Jean organise en 787 une révolte de la population du pays contre les Khazars, mais elle a été écrasée. Le pouvoir khazar favorise l’immigration des populations turco-bulgares en Crimée. En même temps une « byzantinisation » de Gothie progresse, en partie liée à une très probable immigration, venant d’Asie mineur et provoquée par l’Iconoclasme. Cette byzantinisation se manifeste notamment dans la diffusion des pratiques funéraires byzantines (inhumations dans des tombes en dalles de pierre), dans la civilisation matérielle, par ex. dans le costume. Plusieurs monastères rupestres appariassent en Crimée du Sud-Ouest au VIIIe-IXe s. : Inkerman, Čilter, Šuldan, Kači-Kalion. On les compare souvent avec ceux d’Asie mineur et il n’est pas exclu qu’à l’origine ce sont les communautés monastiques venues de Byzance.
Au IXe s. l’empire byzantin a rétabli son pouvoir sur la Gothie de Crimée, qui desormais forme la thème de Climata, avec le centre au Cherson. La région reste byzantine jusqu’à la chute de Constantinople en 1204. L’expansion tatare dans la première moitié du XIIIe s. d’une part amène le Sud-Ouest de la Crimée sous le pouvoir de l’Horde d’Or et d’autre part est à l’origine de l’apparition ici d’une nouvelle population iranophone, les Asses et probablement les Alains, venus du Caucase du Nord. Vers le XIVe s. les communautés judaïques caraïtes s’installent en Crimée. Cependant les sources écrites parlent toujours de Gothie et d’une population de langue gothique. Au XIVe s. la principauté de Théodoro, un débris de l’empire byzantin, avec la capitale à Mangup, se forme en Crimée du Sud-Ouest. Elle est gouvernée par une dynastie d’abord intégrée dans le Khanat tatare, puis hellénisée. En 1475, le control de la region revient à l’Empire ottomane.
3. Les sites
3.1. Mangup
Le site de Mangup est identifié comme la ville de Dori mentionné du début du VIe s. puis comme Doros du VIIIe s. Il se situe sur un plateau de 200-300 m de l’hauteur. On y a mis au jour trois secteurs de défense. Ce sont des fortifications du type byzantin, avec des courtines de 1,8 m d’épaisseur, des casemates souterraines. Ces structures sont datées du VIe s., peut être de la fin du règne de Justinien. On a mis au jour les restes des maisons d’habitation et des chambres funéraires du Haut Moyen Age. Une inscription avec le nom de Justinien, probablement venant d’une basilique au VIe s., a été découverte au début du XXe s. Son attribution à une église a été contestée, cependant les décors en marbre byzantin du VIe s., également provenant de Mangup, peuvent appartenir à une église de cette époque. Les recherches archéologiques ont révélé des traces d’une basilique. D’abord c’est une église à un neuf, puis une basilique à trois neufs. Basilique de Mangup est accompagnée d’un baptistère, avec une inscription, qu’on considère parfois comme tardive. Les niveaux archéologiques de l’épaisseur jusqu’au 3 m, contiennent du matériel du Ve-VIIe s., notamment des monnaies du IVe-VIe s., des amphores, des pithoe. Un petit trésor du VIIe s., contenant des parures en or a été mis au jour sur le promontoire Techkli-Bourun, sur le plateau. Déjà au Ve-Vie s. Mangup représente le centre d’une agglomération, attestée par des habitats et des nécropoles. Ainsi une nécropole du Ve s. a été mis au jour, a Almalyk-Dere, Une basilique à trois nefs a été étudiée à lieu-dit de Karalez, près de Mangup.
Au VIIIe-IXe s. l’habitat sur le plateau devient plus petit, on répare les remparts et construit des nouvelles fortifications. En général, la période dite khazare archéologiquement est peu connue. Au Xe-XIe s. Mangup sans doute représente la résidence du gouverneur byzantin de Gothie. A cette époque la plus grande partie du plateau reste non bâti. On note la réconstruction de la basilique au Xe s., un baptistère y est ajouté dans la première moitié du XIe s. De nouvelles églises rupestres apparaissent sur le plateau, ainsi qu’une église cruciforme. Pour le milieu du XIe s. on constate des destructions importantes, dont la nature n’est pas claire. La période des XIIe-XIIIe s. est très peu connue pour Mangup.
Au XIV-XVe s. Mangup devient la capitale de la principauté de Théodoro. C’est un habitat du type urbain. La citadelle de la ville est reconstruite dans les années 1360, et le palais du prince de Théodoro est construit en 1425. La ville est détruite par les Turcs en 1475, puis c’est la forteresse ottomane, définitivement abandonnée dans les années 1770, lors de la conquête russe de la Crimée.
3.2. Bakla
L’habitat de Bakla, un autre grand site rupestre, se situe également sur un plateau, hauteur 15-20 m, surface 0,8 km2. Les niveaux les plus anciens contiennent la céramique datée du Ve/VIe au VIIIe s. On suppose qu’un habitat non fortifié y existe vers le début du Ve s., On a mis au jour quelques fondations des bâtiments avec la céramique des Ve-VIIe s.§ ainsi que les vestiges d’ une citadelle, peut-être construite au Ve s., puis reconstruite à la fin du VIe s. Les changements importants interviennent au VIIIe-IXe s. La citadelel est de nouveau reconstruite, les courtines deviennent plus épaisses et reçoivent un nouveau revêtement par des blocs. L’architecture des bâtiments d’habitation de cette époque est typique de la civilisation steppique de Saltovo-Majackaja, ce qui pourrait témoigner de l’infiltration des Turco-Bulgares. Bakla au IXe-Xe s. est un centre important, on suppose même que le centre administratif du thème byzantin de Climata pouvait pendant quelque temps se situer dans cet habitat. Durant les XIe-XIIIe s. Bakla est incontestablement le centre du type urbain. La citadelle est alors utilisée pour conserver les grandes quantités de nourriture : blé, poisson sec, ce qui peut indiquer la présence d’une garnison importante. Les fouilles archéologiques ont mis au jour la résidence d’archonte, détruite au XIIIe s., avec 8 bâtiments, une cour et une chapelle. Pour cette époque on connaît 90 grottes souterraines, dont la plupart était utilisée pour le bétail. Un faubourg se développe près de la citadelle, dont on connaît plusieurs cours, qui forment les quartiers. Plusieurs églisers sont attestées aussi bien dans la citadelle qu’en faubourg.
3.3. Eski-Kermen
Eski-Kermen est un des sites le mieux conservés et probablement le mieux connus. Il se situe, comme les autres, sur un plateau de longueur de plus d’un km, et de largeur près de 200 m. La surface du plateau occupée par l’habitat est autour de 82000 m2. On a étudie les fortifications, probablement construites à la fin du VIe s., dans la partie sud et au nord du site. Les pentes abruptes du plateau ont été renforcées par les remparts, à deux pans des blocs de calcaire, de l’hauteur jusqu’à 5 m, avec des tours. On connaît les portes d’entrée. L’architecture des fortifications est typique pour les Byzantins du VIe-IXe s., elle a des parallèles notamment à Cherson. La route, creusée dans le rocher menait vers l’entrée principale du côté sud. On observe sur l’habitat le système des rues, avec une rue principale et une place avec la basilique. Celle-ci, à trois nefs, appartient à la fin du VIe-VIIe s. Plus de 400 grottes creusées dans le rocher, de différentes époques, dont six églises rupestres sont attestées à Eski-Kermen. Un système d’approvisionnement d’eau, faites avec des tuyaux céramiques, se prolonge à de 2 km. Un puits et le passage secret vers la source d’eau, avec un escalier dans le rocher, en 89 marches, sont également connus. Les niveaux archéologiques, jusqu'au 4 m, se sont conservés uniquement près des remparts. Ils contiennent des fragments des es amphores du VIe-VIIe s., ce qui indique la date du premier habitat sur le plateau. On connaît, d’autre part, un atelier de verrier du VIIe s. La nécropole avec les tombes de différentes types, contient le mobilier daté à partir de la deuxième moitié du VIe s., ce qui confirme les datations des niveaux de l’habitat. Aux XIe-XIIIe s. Eski-Kermen est un véritable centre urbain. La plupart du plateau est occupée par des bâtiments, qui forment des quartiers rectangulaires, avec deux-trois unités dans chaque quartier. On connaît aujourd’hui à peu près 600 cours, se qui suppose une population de 2500-3000 personnes. Eski-Kermen est également connu grâce à ces églises rupestres des XIe-XIIIe s., notamment contenant des fresques.
3.4. Čufut-Kale
Le site deČufut-Kale (Kyrk-Or au XIVe s.) se situe également sur un plateau avec des pentes abruptes. Les remparts sont disparues, sauf quelques vestiges du côté sud. Certaines grottes souterraines et les fondations des remparts transversales, qui barrent le plateua, peuvent appartenir au VIe-VIIe s. Les chapiteaux en marbre de Proconesse indiquent la possibilité de l’existence d’une église paléochrétienne. La découverte d’une monnaie de Justinien et d’une fibule byzantine balkanique du milieu-deuxième moitié du VIe s. semblent confirmer cette date. Quelques structures du Huat Moyen Age contiennent du matériel du VIe-IXe s., Une nécropole à côté de Čufut-Kale apparaît au VIe s. Le site continue exister en tant qu’habitat jusqu’au XIXe s. Au XIIIe-XIVe s. il est occupé par les Asses, population iranophone, venue de Caucase du Nord, probablement avec les Tatars, puis une communauté caraïte s’y installe, dont les vestiges d’architecture sont aujourd’hui bien visibles sur le site.
3.5. Kyz-Kermen, Tepe-Kermen, Kalamita, Partenites
L’habitat de Kyz-Kermen, sur un plateau, appartient essentiellement au VIIIe-IXe s. On y a mis au jour des maisons et les fortifications de la deuxième moitié du VIIIe s., de la céramique typique de la civilisation Saltovo-Majackaja, ainsi que des objets chrétiens, comme les croix en fer et une bague avec le monogramme du Christ. L’habitat continue d’exister plus tard; une petite église probablement du XIVe s., à une abside et un neuf et les tombes de la même époque sont étudiées dans la partie occidentale du site.
A côte de Kyz-Kermen, l’habitat de Tepe-Kermen se situe sur un plateau isolée, avec des pantes abruptes de 8-12 m. On observe les restes d’une route creusée dans le rocher, ainsi que des postes de garde, dans les grottes souterrains. Une église dans la grotte, qu’on compare avec les églises paléochrétiennes du Proche Orient a été découverte sur le site. La céramique provenant de Tepe-Kermren est datée du Ve-XIIe s., notamment des amphores, appartenant au Ve-VIe s. Aux XIe-XIIIe s. c’est un centre urbain. Le plateau est occupé par les maisons d’habitation, de plus on y connaît 250 grottes de cette époque, dont une église rupestre avec un baptistère.
Kalamita se trouve près d’Inkerman, à l’embouchure de la rivière de Tchernaya ; On connaît ici des structures du Haut Moyen Age, notamment une route, creusée dans le rocher et les restes d’une porte. Puis, en 1427 une forteresse est érigée dans cet endroit. Le monastère rupestre de Saint-Clément apparaît à la même époque.
Enfin, il faut évoquer Partenites, sur la côte sud, même si ce n’est pas un site rupestre, car géographiquement il appartient à la même région du Sud-Ouest de la Crimée. Les maisons du VIIe s., à deux-trois pièces, à étage, avec les cours pavées attestent l’éxistence ici d’un habitat. Le monastère de Saint-Pierre et Paul apparaît ici, une grande basilique à trois nefs et trois absides avec des mosaïques et marbre est construite fin du VIIe s. Elle est élargie au début du VIIIe s. La révolte de Jean le Gothique est probablement à l’origine des déstructions destructions à Partenites au VIIIe s. La basilique est agrandie au IXe-Xe s., puis détruite dans la deuxième moitié du XIe s., enfin elle est reconstruite en 1427.